Actualités du 5 février

Interview de madame V.H-D, juge aux prud’hommes depuis 2008, vice-présidente de la section commerce – collège employeurs -, a répondu aux questions relatives à la nécessité, pour le dirigeant, d’être à jour avec le « document unique », l’analyse des risques psychosociaux, le règlement intérieur, s’il est assigné devant le Conseil des Prud’hommes (CPH).

 

Un dirigeant qui doit faire face à un litige devant le CPH a-t-il intérêt à être en règle avec les différentes obligations en matière de sécurité et santé au travail ?

Tout dépend du litige. Les juges vont s’intéresser à cet aspect dès lors que l’on touche aux thèmes de souffrance au travail (tel que stress, harcèlement, risques psychosociaux…), accidents du travail ou maladies professionnelles.

 

Pouvez-vous préciser ?

Le CPH fonctionne par faisceaux d’indices. Un dirigeant qui n’a pas mis en place son document unique dans lequel il aurait dû étudier avec précision tous les risques liés à son activité, démontre d’emblée une négligence certaine envers son personnel. Au- delà de l’aspect proprement procédural, cette attitude permet aux salariés de s’impliquer davantage.

Or, à l’heure des réflexions sur le bien-être au travail, le développement personnel, le management basé sur « l’exillance » (savant dosage d’exigence et de bienveillance), étudier les difficultés que peuvent rencontrer les salariés dans l’exécution de leur travail et tenter d’y apporter des solutions par la prévention donne immédiatement une bonne image du chef d’entreprise.

 

Est-ce le seul élément que vous pouvez demander ?

Non ce n’est pas le seul élément. Certains salariés cumulent des points pénibilité depuis le 1er Janvier 2015. Or, un grand nombre d’entreprises sont, à ce jour, en défaut de déclaration, ce qui lèse les salariés concernés. Les entreprises avaient, pour rappel, jusqu’au 31 Janvier 2018 pour effectuer ou régulariser leurs déclarations.

En outre, nous sommes parfois contraints de procéder à une seconde convocation des parties pour des comparutions à la barre ou d’effectuer des visites en entreprise afin que certains points liés à la sécurité des salariés soient éclaircis.

 

Le « volet C2P » (ex volet pénibilité) ne doit-il pas, justement, être validé et signé par les salariés puis annexé au document unique ?

C’est exact, il est même probable que nous ayons à traiter très prochainement des litiges concernant des salariés qui demanderont réparation du préjudice subi devant le CPH si l’employeur n’a pas effectué avec précision ses déclarations depuis Janvier 2015.

 

Effectivement un salarié concerné par un ou plusieurs facteurs de « pénibilité » cumule des points qui vont lui donner plusieurs avantages, comme celui de partir deux ans plus tôt à la retraite, des mesures compensatoires et des rappels à l’ordre ont-ils été prévu pour le chef d’entreprise ?

C’est exactement cela, notamment une réparation financière qui pourra, par exemple, se traduire à terme par des rachats de trimestres pour compenser les points perdus. Les sommes peuvent rapidement être considérables.

Avant cela, des pénalités seront appliquées aux entreprises, qui lors des contrôles à venir, pourront payer jusqu’à 50% du plafond mensuel de la sécurité sociale (3269 € pour 2017), par salarié concerné.

 

Le fait de savoir si un dirigeant a réalisé correctement son document unique vous apporte-t-il d’autres éléments intéressants ?

Oui car si le litige porte sur le sujet de la souffrance au travail comme le stress, les cadences trop élevées, le harcèlement managérial, etc., le risque que survienne un « burnout » est réel. De plus, si différents types de harcèlement sont avérés, les sanctions peuvent être sévères.

 

Traitez-vous régulièrement ce type de litige (souffrance au travail) ?

Oui, c’est fréquent, ce type de litige représente environ un cas sur deux…

 

Vous parliez de faisceaux d’indices, quels sont-ils dans ce cas ?

Le dirigeant a une obligation de résultat quant à la protection de la santé physique et mentale de son personnel. Il doit donc démontrer qu’il a bien pris en compte cet aspect en analysant, en complément de son document unique, les risques psychosociaux, en garantissant qu’un réel dialogue est encouragé dans l’entreprise, en prouvant qu’au moindre conflit des mesures justes et adaptées sont mises en œuvre afin d’y mettre fin. Face à un salarié qui attrait son employeur devant les Prud’hommes pour harcèlement, par exemple, le fait qu’il n’y ait été fait aucune mention lors de l’entretien peut plaider en faveur du manager. De même, l’organisation périodique d’un sondage auprès des salariés pour recueillir leur ressenti sur le fonctionnement de l’entreprise et leur activité en son sein, serait une preuve de l’attention de l’employeur vis-à-vis de ses collaborateurs.

Il serait bon, à ce titre, de généraliser à l’ensemble des TPE- PME, la mise en œuvre de certaines démarches. L’entretien professionnel obligatoire, tous les deux ans pour les entreprises, serait ainsi un temps fort plaidant pour l’existence d’un bon dialogue social au sein de l’entreprise.

Prévoir un échange en tête à tête avec chacun de ses salariés peut être un autre élément positif. Même si l’entretien annuel n’est pas obligatoire, il est un temps fort d’échange. Je conseille fortement aux entreprises de se plier à cet exercice.

 

Quelle est votre analyse sur l’importance du règlement intérieur devant un CPH ?

Le règlement intérieur est fondamental pour une entreprise à plusieurs titres. Il doit prendre en compte principalement la sécurité et la discipline. Nous avons déjà développé les aspects liés à l’importance de la sécurité, reste la discipline. Le règlement intérieur permet aussi de responsabiliser davantage les salariés sur les questions de pratiques addictives et de comportement au volant. Prendre en compte tous ces aspects dans le règlement intérieur permet de démontrer que l’employeur entend encadrer la conduite de ses salariés pour préserver leur sécurité et celle d’autrui.

Nous sommes souvent contraints de remettre en cause une sanction disciplinaire car l’entreprise ne dispose pas d’un règlement intérieur ou n’y précise pas l’échelle des sanctions pouvant être posées.

 

En quoi est-il primordial pour les entreprises de plus de 20 salariés ?

Une sanction ne peut être prononcée contre un salarié que si elle est expressément prévue par le règlement intérieur. Il fixe les règles, la nature et l’échelle des sanctions que peut prendre l’employeur.

 

Quels sont les risques si celui-ci n’est pas réalisé ?

Une annulation de la sanction et donc une requalification d’un licenciement pour faute en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Ainsi, les juges sont parfois contraints de remettre en cause la légalité d’un licenciement, pourtant justifié, par les actes commis par un salarié, pour une simple question de formalisme. Il peut s’agir parfois d’un simple détail qui s’avère lourd de conséquences. Je me souviens d’un dossier où nous avions dû annuler une mise à pied de 10 jours car il était prévu dans le règlement intérieur que ce type de sanction ne pouvait pas dépasser 5 jours.

 

Est-ce plus simple pour les entreprises qui ont moins de 20 salariés ?

Et bien non justement, pour une entreprise de moins de 20 salariés, il n’est pas obligatoire, mais les sanctions restent limitées et peuvent, selon les cas, être remises en question. Je vous donne un exemple simple : un salarié doit laisser le véhicule de la société au dépôt tous les soirs après le travail. Si cela est prévu dans le règlement intérieur, une sanction sera prévue et ne sera pas discutable en cas de litige devant le CPH.

En revanche si cette règle est fixée de la même façon sans que soit élaboré de règlement intérieur, alors, en cas de litige, la sanction pourra facilement être annulée.

 

Que conseillez-vous alors aux entreprises de moins de 20 salariés ?

Eh bien, par expérience, je conseille à ces petites entreprises de mettre en place un règlement intérieur. C’est plus confortable pour elles, à condition qu’il soit réalisé correctement.

Les chefs d’entreprise doivent considérer le règlement intérieur comme un document qui servira leurs intérêts, que ce soit pour faire respecter une obligation à un salarié, pour le sanctionner en cas d’inobservation des règles ou pour justifier une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement sans risquer une annulation de cette décision managériale. C’est un outil permettant d’agir en toute légalité et de se ménager des moyens de preuve face à un salarié qui ne respecterait pas les règles de vie en entreprise et les directives de sa hiérarchie.

 

 

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